Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Vers une vie sans civilisation

26 octobre 2015

Avant-propos

Je voulais adresser ces textes à celles et ceux qui éprouvent parfois l’envie de disparaître, de tout laisser tomber, de s’enfuir ou de finir leur vie, ou qui ne comprennent pas leur environnement social, l’indifférence du monde, les absurdités du système,...
Publicité
Publicité
28 février 2016

L’aberration néolithique

 Qu’est-ce qui justifie la voie de progression empruntée par l’humanité moderne ? L’homme sauvage a-t-il naturellement évolué en homme civilisé d’innovation en innovation ? Non ! Une rupture s’est opérée. Auparavant, il y eut plusieurs vagues de conquêtes des terres par les hommes, d’abord celles d’Homo erectus ou d’autres hominidés qui furent capables d’atteindre l’Indonésie depuis l’Afrique et de laisser des traces en Eurasie pendant environ un million d’années. L’homme de Néandertal, notre ancêtre mineur, issu d’une nouvelle migration, se révéla excellent dans le nord pendant quelque chose comme 700 000 ans de l’ère glaciaire ; un peu plus robustes que nous, ces hommes comprenaient des chasseurs courageux s’attaquant à de grandes proies, ils connaissaient les plantes, possédaient un sens esthétique et étaient probablement en capacité de parler. Pendant plusieurs millénaires, ils côtoyèrent Homo sapiens, dernier arrivé sur le territoire, dont la culture avait une petite avance. On ne connaît guère la teneur des rapports entre les deux populations, mais il est vraisemblable que Sapiens ait mieux prospéré et que les Néandertaliens se soient noyés dans l’hybridation. Cette supériorité numérique d’Homo sapiens sur son aîné du nord laisse penser que le nouveau ne manquait pas de talent. Avec leurs techniques de chasse perfectionnées, leur sens de la communauté, leur domestication du chien, les ancêtres du paléolithique pouvaient probablement connaître de belles saisons ; après le changement climatique, il y a environ douze mille ans, la végétation devint plus nourrissante, les hivers furent moins rudes, et les tribus surent s’adapter au nouveau gibier. Je trouve cohérent d’imaginer des gars très virils, forts et compétiteurs, pouvant régler leurs comptes entre eux mais ayant la chasse comme activité masculine principale, et des nanas séduisantes et attentionnées leur rendant bien leurs efforts et s’occupant des enfants. J’adhère aux stéréotypes de genre, car ils ont une base hormonale, sont transmis par l’éducation depuis des millénaires, et sont remis en cause aujourd’hui parce que la très moderne société les rend dysfonctionnels. Au demeurant, l’éducation aussi est un processus d’adaptation naturel, allant de pair avec la génétique ; il faut laisser tomber Descartes et cesser de croire que la pensée de l’être humain est une création surnaturelle. La part culturelle des distinctions entre les sexes fut une stratégie efficace d’adaptation, et je trouve probable que les peuples du paléolithique aient prospéré ainsi. Mais pourquoi ces êtres sont-ils devenus des révolutionnaires et ont-ils tout complexifié ?

 Cette révolution a eu lieu au Proche-Orient, et probablement uniquement là. Quelques hommes y ont changé leur mode de vie et sont devenus des fermiers : au lieu d’être limités par les ressources du milieu, ils ont trouvé de nouvelles activités qui dépendent beaucoup moins de l’environnement et beaucoup plus de la quantité de travail fournie. Pendant que les chasseurs-cueilleurs se reposaient et passaient probablement du bon temps en convivialité en attendant le retour du gibier, les fermiers continuaient de bosser pour produire plus de nourriture et aménager le territoire, et cette culture a permis à leur population d’augmenter considérablement sans s’harmoniser avec les ressources naturelles. Il faut avoir conscience de la somme de travail que rencontrent ceux qui, aujourd’hui, décident de s’installer sur une parcelle de terre pour tenter l’autonomie, surtout en s’en tenant à des méthodes dites biologiques. Le nouveau peuple de sédentaires laborieux a conquis l’Europe et s’est aussi étendu en Afrique. Les fermiers se sont d’abord installés sans se mélanger avec les chasseurs-cueilleurs d’Europe. Les derniers anciens Européens ne se sont fondus que dans une population de sédentaires ayant déjà largement dépassé la leur ; avouons-le-nous, nous ne serions pas étonnés d’apprendre que ce sont les femmes qui ont fini par délaisser les chasseurs au profit des éleveurs et agriculteurs aux conditions matérielles plus sécurisantes ; que les femmes d’aujourd’hui me détrompent ! Quoi qu’il en soit, il est dans l’ordre du vivant que les innovations permettant la plus grande croissance du nombre d’individus prennent le dessus, cependant il est possible que la néolithisation ait eu lieu au détriment de la qualité de vie des êtres humains. Vivre de chasse, de pêche et de cueillette, selon les méthodes ancestrales, est moins épuisant, si l’on s’en tient à une population peu dense. De plus, le recul significatif de la chasse a vraisemblablement représenté un problème pour le sexe masculin qui s’est reconverti dans l’art de la guerre : auparavant, l’instinct plus agressif des hommes, tout comme leur plus grande force physique, était une qualité adaptative de la testostérone ayant permis à l’espèce d’engendrer des chasseurs redoutables capables de nourrir les tribus, et les conflits n’étaient de toute façon guère motivés entre des groupes nomades sans richesses matérielles qui se rencontraient peu souvent. Enfin, l’alimentation à base de céréales s’est avérée un poil moins bénéfique pour les agriculteurs.

 Ainsi, le mode de vie originel de l’homme a été supplanté, très récemment dans l’histoire de l’humanité, par les curieuses expérimentations d’une minorité. En dépit des optimisations mises en place par les sédentaires pour faire accoucher la terre de plus de matières vivantes, le nombre démesuré de ces primates de labeur soulève des questions. Le civilisé refuse pourtant de laisser les peuples se réguler et persiste à vouloir solutionner « la faim dans le monde », c’est-à-dire permettre vie et reproduction à des êtres que la terre ne veut pas porter. Une telle aberration, dérive mondialisante du sentiment communautaire des tribus originelles, s’oppose à l’intérêt qu’aurait Homo sapiens à se réadapter à son environnement. Il paraît irréaliste de vouloir préserver ces milliards de vies coûteuses tout en prônant une harmonie avec la nature. Faire mûrir en soi l’état d’esprit tribal des ancêtres, s’investir pour un groupe modeste de semblables et tenter de s’établir des repères nomades dans l’existence, constituent une forme d’engagement personnel pour que l’être humain reprenne une place plus aisée sur son sol. En travaillant pour la civilisation, tu contribues à entretenir une humanité qui sature la capacité d’accueil naturelle des continents et qui se condamne au labeur.

26 novembre 2015

Marginal toi-même !

 Je souhaite justifier le parti pris de chercher des compagnons au cœur de la civilisation à l’aide de ce blog, au lieu de me rendre en des lieux alternatifs où se trouvent des êtres ayant déjà fait le choix de tourner le dos au système. Le motif de cette singularité est ma propre origine. Les communautés marginales dont j’ai connaissance sont des réalisations issues de courants culturels qui ne sont pas les miens, et leurs membres possèdent des référents et des modes de pensée que je ne partage pas. Pour grossir les traits, je ne suis ni hippie ni punk, et cela implique non pas du mépris pour ces êtres et leurs actions, mais une divergence dans la vie que je mène et dans ma sensibilité. C’est une démarche intellectuelle et thérapeutique qui sous-tend mes choix, et non pas une appartenance à un groupe social. Je n’ai pas trouvé ma place dans l’humanité qui m’entoure, et cela explique ma situation présente, qui est une situation de grande exclusion sociale. Mes interlocuteurs ne résistent pas au besoin de me catégoriser, de m’assimiler à un gars de la rue, à un routard, à un consommateur de substances psychoactives, ou à un étudiant, et cependant je suis en dehors de ces classes. Je suis un philosophe vagabond. Ne sous-estime pas le soin que j’attache à expliquer la vie réelle au lieu de faire de mes dispositions psychiques apprises une réalité naturelle. Nous sommes tous conditionnés par la culture, nous sommes tous plus ou moins adaptés à cette petite partie du monde qu’est la civilisation moderne, et les marginaux le sont également parce qu’ils ont dévié dans le sens d’un courant de pensée dont la source n’a pas été arrachée à la civilisation et à ses phénomènes sociaux ; les fermes alternatives, les squats, les communautés plus ou moins autonomes du territoire occidental sont des branches de la culture occidentale, et on s’y intègre depuis le tronc. Si depuis le tronc de la société tu ne parviens vraiment pas à t’intégrer à une sous-culture présente, le mieux pour toi c’est encore de descendre de l’arbre : ton éducation a foiré. Bienvenue à toi. Le vrai déconditionnement n’a aucun intérêt pour les autres.

 Les êtres que je cherche ne sont pas engagés, ne sont pas marginaux, ils sont à la traîne, seuls, perdus au milieu d’une société qui ne les comprend pas, qui ne reconnaît pas leur mal-être ; les êtres que je cherche ne sont pas des sauvages, ne sont pas des aventuriers, n’ont pas envie de changer leur mode de vie, mais tendront l’oreille quand ils ouïront qu’on a une place pour eux, qu’on les attend quelque part et qu’on les veut aimer. Je n’ai pas grand-chose d’un chef militaire, je ne souhaite pas former des soldats, non, c’est le système qui exploite l’être humain en l’obligeant au travail. Viens, je t’emmène en vacances, je t’emmène réinventer ta vie là où l’être humain est au service de lui-même, là où le bien-être passe en premier. Simplement, cela, on ne peut pas le faire au sein de la civilisation ; mais hors des villes et du système économique, il n’y a presque aucuns flics. Il y faut réapprendre à vivre, mais nous y sommes chez nous. Je ne suis pas né dans une grotte. Les hommes de la civilisation nous ont fait à leur image, mais notre ADN est authentique et ils ne savent pas de quoi les singes sont capables.

11 novembre 2015

Vivre en communauté

 Il y a une image culturelle qui me dessert quand j’essaie de valoriser mon idéal sauvage, c’est un peu celle de Robinson Crusoé. Même si l’on admet que je parvienne un jour à vivre sans aucun contact avec la civilisation, j’ignore si l’homme, surtout l’homme issu de l’environnement industriel, post-industriel ou je ne sais quoi, est capable d’avoir une belle vie sans aucune aide de ses semblables. Survivre, il le peut, mais, hormis comme expérience à court terme, je ne pense pas que ce soit enviable. En revanche, une tribu peut prospérer. Et je trouve important d’écrire un article pour faire entendre que je ne cherche pas des personnes qui seront d’emblée à l’aise dans un mode de vie nomade à aspiration sauvage. Je ne demande à personne de venir se gérer d’un coup, et j’ouvre cette fenêtre virtuelle sur mon projet car je suis prêt à m’occuper d’un ou d’une semblable. Il n’y a aucune compétence prérequise.

 La civilisation occidentale moderne n’est qu’à moitié une société car on y vit cloisonné. Je ne lui reproche pas par là de permettre à chacun de disposer de son espace individuel, mais je t’invite à remarquer que tu n’as pas besoin d’avoir une vie sociale pour faire partie du système. Ta vie repose sur des milliers de travailleurs, sur des savoirs transmis de génération en génération, mais il ne t’est pas nécessaire d’être en bons termes avec tes semblables pour jouir de tout cela : la structure véritablement sociale d’une société est remplacée par un fonctionnement administratif et économique, et ainsi tes échanges sont régis au moyen d’une interface ressemblant de plus en plus à une machine au lieu d’avoir lieu avec des êtres humains. Des papiers remplis, de l’argent transféré, une base de données complétée, et te voilà devenu un dossier administratif. Par conséquent, les sentiments qui devraient fonder la cohésion sociale ont pris une fonction superficielle, tandis que les lois et les programmes informatiques décident de ton sort. Pour le reste, les règles de politesse assurent une hypocrisie préservant le calme d’une cohabitation formalisée.

 Je propose une communauté dans laquelle les échanges sont fondés sur le plaisir d’être ensemble et de s’entraider. Je pense que la sincérité des sentiments est plus efficace que l’obligation, la contrainte et la politique quand on vit dans un petit groupe. Cela implique des groupes sociaux qui peuvent se composer, gagner ou perdre des membres, se scinder, car les véritables affinités et tensions ne sont pas masquées. Il existe déjà des communautés alternatives avec lesquelles il peut y avoir des contacts ; moi je préfère commencer seul car je ne fonde pas ma démarche sur les mêmes idées, mais j’imagine que, lorsqu’une vraie tribu sera constituée, il y aura des passages par des écolieux ou des rassemblements qui permettront d’embarquer ou de laisser des compagnons, afin de laisser un choix possible.

10 novembre 2015

Comment renoncer au confort ?

 Dans l’article « Par-delà la sécurité », que tu peux sans problème n’avoir pas encore lu, j’ai expliqué en quoi il me semble intéressant de s’en tenir à une sécurité minimale permettant juste de se sentir en sécurité. L’ennui c’est qu’il n’y a probablement pas de seuil à partir duquel on sent qu’on agit pour le confort et non plus pour la sécurité : je pense que c’est toujours le même mécanisme psychique, parce qu’on n’est pas adapté à un environnement permettant d’avoir trop, on n’est pas fait avec cette limite du besoin physiologique. Cette limite dans la civilisation est culturelle, morale, apprise. Ainsi, le titre accrocheur du présent article ne correspond pas à mon vécu : le confort n’est pas distinct de la survie dans nos ressentis. Toutefois, si je devais répondre à la question, j’affirmerais que renoncer au confort est une peine ingrate et contre-nature. Je pense qu’on est instinctivement poussé vers la réponse la plus adaptée à ses besoins : la nourriture la plus énergétique, c’est-à-dire surtout riche en sucres, en graisses, voire en protéines, le gîte le plus douillet et paisible, et je te laisse concevoir la suite. Qui d’entre nous renonce le plus au confort ? Qui limite la richesse de son alimentation ? Qui fait sonner un réveil le matin ? Qui se contraint à rester assis enfermé pendant des heures sans l’air extérieur et le soleil ?

 Moi, je ne renonce pas à grand-chose, car c’est ma situation qui me limite. Tandis que tu fais des efforts moraux pour plaire à la société et être en bonne santé, de mon côté je fais beaucoup ce dont j’ai envie. Ne t’imagine pas que c’est un effort quotidien de rester en marge. J’ai la vie plutôt aisée. Je trouve drôle que des êtres soumis et dépendants puissent penser qu’ils sont mieux que moi parce qu’ils peuvent se cloîtrer entre quatre murs avec des produits dégraissants et anti-bactériens et une machine qui fait du froid. Je n’ai pas besoin de me forcer pour rester dans la simplicité, non, je n’ai pas envie de faire le beau et collectionner les papiers afin d’avoir le droit de vendre mon temps pour un lave-linge et une nouvelle paire de pompes, et je ne demande pas qu’on me paye l’accès à la médecine moderne pour remplacer mon bon sens et un peu de documentation. Je n’ai pas l’intention de renoncer au confort d’avoir des ancêtres ayant vécu en Europe pendant des centaines de milliers d’années sans fours à micro-ondes et sans hypermarchés.

b

Publicité
Publicité
10 novembre 2015

Par-delà la sécurité

 C’est probablement le principal élément dissuasif de mon mode de vie. La liberté et la sécurité semblent souvent perçues comme les deux extrémités d’un axe sur lequel on doit placer sa vie. Selon ce point de vue, je suis libre et je jouis de peu de sécurité, comme un état fixe, une caractéristique de mon existence nomade. Mais moi je comprends différemment ces deux notions opposées. À mon sens, il est plus intéressant de penser à partir du désir de sécurité et du désir de liberté. Comme j’éprouve successivement les deux, selon les moments, je sais que je ne suis pas dans l’excès de liberté et le manque de sécurité : j’ai simplement pris l’habitude de répondre à mes besoins par moi-même. Dans la civilisation moderne, on apprend à obéir, de façon à recevoir de la sécurité sous forme d’argent, qu’on échange ensuite contre des biens et des services qu’on ne maîtrise pas ; il est donc normal que tu puisses avoir l’impression de perdre ta sécurité en cessant de vendre ton temps et ton énergie. Toutefois, la sécurité n’est pas financière, elle consiste juste à répondre aux besoins physiologiques, c’est-à-dire aux addictions, bonnes ou mauvaises. Je cite pour l’essentiel le sommeil, l’alimentation, l’hydratation, la chaleur, l’évacuation des déchets du corps, le mouvement, l’absence de dangers extérieurs, éventuellement la lumière, et j’en oublie peut-être ; ajoute à cela les besoins particuliers, qui peuvent être la médication ou la prise d’autres substances notamment. Si tu sais que tu es en capacité de satisfaire ces besoins dans ton environnement, alors tu es en sécurité. Et si tu vis en communauté avec des êtres solidaires qui se soucient avec toi de tes besoins, ce n’est pas très difficile.

 Ce que j’affirme peut te paraître un peu minimaliste. Dormir c’est bien, mais tu veux ton lit ; manger c’est bien mais surtout quand c’est bon ; je n’ai pas parlé de l’hygiène. Accordons-nous : moi j’ai mentionné le minimum qui te permet de te sentir en sécurité, et toi tu penses au bien-être. La civilisation te permet d’être bien au-dessus du seuil de la survie, alors pourquoi te priver de son confort ? Je te propose ma réponse, qui est hypothétique mais sensée.

 Il y a fort longtemps, les femmes et les hommes commencèrent à maîtriser suffisamment leur environnement pour avoir du temps libre. On peut imaginer deux cas de figure. Le plus logique, c’est que ces peuples-là continuassent à répondre aux mêmes besoins, puisqu’ils étaient génétiquement adaptés à une lutte constante pour la survie. Leur quête de sécurité n’ayant jamais eu besoin d’être tarissable, ils eurent toujours envie d’une nourriture plus abondante et plus riche, d’un lieu de vie plus rassurant, de meilleures conditions de sommeil, et j’en passe. Avec la sédentarisation, les débuts de l’agriculture et de l’élevage, la construction de villages, ils commencèrent à expérimenter la richesse et l’excès. La natalité devint forte, mais l’alimentation s’orienta presque exclusivement vers le sucre, il y eut des guerres contre les cités les plus prospères, des enlèvements de femmes, et tout cela fut destructeur. Dans l’autre cas de figure, les hommes se sentirent plus fort, plus libres, et une partie de leur existence ne fut plus régie par la nécessité. Ils obtinrent la vision d’un monde inutile et insensé, et ce fut le théâtre de la créativité. Ils inventèrent des arts esthétiques et des systèmes de croyances ; les arts furent des activités qui les détournèrent de leurs besoins physiologiques intarissables mais déjà suffisamment satisfaits, et les croyances furent des justifications de ces activités et des incitations à la sobriété. Note bien que les religions aujourd’hui font toujours l’apologie de la sobriété et sont toujours richement esthétiques. Ces peuples spirituels ne furent pas détruits par l’excès. Bien sûr, les deux tendances existèrent chez tous les peuples : c’est leur équilibre qui permit à certaines civilisations de traverser les millénaires. Sans progrès techniques, l’humanité reste peu nombreuse à cause d’une faible natalité et d’une forte mortalité infantile ; et sans spiritualité, les hommes se tuent pour la richesse car ils sont génétiquement adaptés à la survie en un milieu pauvre.

c

 Notre civilisation ces derniers temps perd cet équilibre : la religion s’efface et la quête d’abondance prend le dessus. Les cancers, les accidents vasculaires cérébraux, les diabètes, les dépressions, sont les conséquences de cet excès. C’est pourquoi j’estime qu’il est bon de s’en tenir à une sécurité minimale. Moi, je ne suis pas religieux, je n’accepte aucun dogme. Pour faire face à la grande richesse de la civilisation, je propose à la place de la religion une culture, une « spiritualité » principalement esthétique, avec peu de croyances ; nommons-la liberté. Elle s’appuie sur la possibilité de se détacher du désir d’abondance, de s’en tenir à la sécurité de survie, pour regarder le monde sans nécessité, sans devoir, avec un sentiment esthétique, une fierté, un élitisme. As-tu déjà connu cette mélancolique solitude contemplative qui s’accompagne fantastiquement de musique triste et de paysages crépusculaires ? Ma liberté y ressemble, mais la solitude est renversée en joie, en amour, en indépendance. C’est le même état d’esprit que cette solitude, sauf que tu es devenu un être fort. Et cela, la civilisation ne te laisse pas y parvenir, car elle t’incite à dépendre de son excès de sécurité, et à obéir.

 Quels sont les besoins qui t’attachent au système ?

30 octobre 2015

Le poids de ta vie

 Quand je marche en ville avec mon sac complet sur le dos, je suis toujours ennuyé de donner l’impression d’être en peine avec mes affaires. Parfois on me demande même si ce n’est pas trop lourd. J’ai deux pensées pour me consoler : premièrement, ces personnes ont-elles déjà essayé de porter un vrai bon sac réglé sur leur dos ? et deuxièmement, il serait bien intéressant de voir le sac de ces personnes à ma place. Le mien a un volume de 45 litres, avec un supplément possible de 10 litres que j’utilise volontiers en hiver, ce qui est peu comparé aux 60 litres et plus qu’on peut rencontrer. Il n’empêche que, oui, si je suis affecté par cette impression qu’on peut avoir, c’est parce que je me trouve moi-même trop chargé. Je n’aime pas ressembler à un randonneur ou un voyageur vacancier. Je suis un vagabond. Quelque part, je regrette les périples que j’ai effectués avec mon ancien sac de cours ou un autre du même genre. Quand j’ai marché de Paris à Sancoins, en gros, à la boussole, du 9 au 17 janvier 2013, je n’avais pas de tente, pas de vrai manteau, et je portais une couette de récupération dans un bagage à main ; c’était quand même autre chose, je trouvais mes abris et je n’avais rien d’autre à faire que marcher, manger les quelques victuailles que je glanais et me blottir dans ma couette.

 J’aime ça parce que ça rend la vie légère, parce que j’ai le contrôle de la totalité de mes actes, que tout ce que je fais a du sens pour moi. En fait, plus ta vie est précaire, moins tu as de responsabilité. Les responsabilités de la civilisation, ce sont les pires : tu as entre les mains des enjeux étrangers dont tu te moques, sous forme de papiers administratifs et d’horaires à respecter, mais si tu ne les assumes pas on coupe tes ressources. Ensuite, il y a les responsabilités personnelles : tu assumes ta propre existence en t’occupant de tes affaires et des personnes qui vivent avec toi. Et enfin, le niveau le plus bas, c’est être seulement responsable de son corps au jour le jour. Moi, aujourd’hui, avec mes affaires à préserver, j’ai un degré de responsabilité supportable, notamment parce que je ne suis pas fort strict : en effet, je laisse quasi quotidiennement ma tente, des vêtemetns et mes affaires de couchage sans surveillance, car j’estime que je me cache suffisamment bien. Je cours le risque mesuré de perdre mon confort et je gagne un gros allègement de mon existence.

 Ce sac et son contenu me permettent d’aller m’installer où je veux dans de bonnes conditions, sans argent. La quasi totalité des êtres humains nés dans cette civilisation préfère avoir un logement et gagner de l’argent, cependant je trouve ça personnellement trop contraignant. À quoi sert d’avoir une grande aisance matérielle si on ne peut pas profiter de son lit à volonté, si on doit s’absenter pendant une grande partie des journées, si on ne peut pas se consacrer pleinement à ses vraies préoccupations, si on doit plaire aux gens, si on doit modérer ses consommations ?... Un existence si contrainte favorise-t-elle ton bien-être ? Toujours avoir un impératif devant soi, un délai à respecter, une échéance dans un coin de la tête, des comptes à rendre, un masque à garder propre, c’est un sacrifice qui me semble énorme. Nous ne sommes pas des machines, enfin ! Nous ne sommes pas faits pour exécuter un programme imposé, non, nous éprouvons des désirs, des sentiments, des émotions, qui sont là pour nous animer de l’intérieur, nous faire agir ! Comme tu dois te sentir faible et immature pour accepter qu’on régisse ta vie !

 Moi, j’ai un sac ; et toi, quelles contraintes pèsent sur tes épaules ?

Publicité
Publicité
Vers une vie sans civilisation
Publicité
Archives
Publicité